Commençons par le commencement.
Je suis née il y a vingt-six ans, à Boston. Le jour d'Halloween, exactement.
Ca devait être un signe.
Ma famille : côté maternel, celui que j'ai le plus côtoyé. Beaucoup d'argent, beaucoup de c... Ma mère est pédiatre, mais elle n'est pas obligée d'exercer. D'ailleurs, elle n'a repris le travail qu'au moment du divorce, pour se changer les idées j'imagine. Ma mère a une soeur aînée, comme moi. Adele (d'où le prénom composé de feue ma frangine). Une espèce de cinglée qui frétille devant les curés comme un chien devant son os. Côté paternel : un père ingénieur du son. Le moment "rebelle" de ma chère maman. Moment qui a duré un bail, quand même (24 ans), vu que papounet avait besoin d'argent et que maman était trop conne pour s'apercevoir qu'il la trompait à tout va (ça, je l'ai su par ma cousine Olivia, fille d'Adele, brouillée à mort avec sa mère depuis une éternité). Après quoi, elle est rentrée dans le rang. M'a regardée grandir avec beaucoup de perplexité. A eu quand même la présence d'esprit d'éloigner sa soeur de moi, quand celle-ci a découvert mes petites particularités et a tenté de me faire exorciser.
J'ai grandi dans la solitude.
Je ne parle pas seulement de cette grande maison familiale et vide. Mais de ma vie, en général. Mes amis d'alors, je les compte sur les doigts d'une main. Missy - le fantôme d'une nounou noire vieux de plusieurs décennies, quand j'étais toute petite. Emily, qui se trouvait énorme alors qu'elle pesait 30kg toute mouillée, dont l'imbécile de père laissait traîner des revolver chargés. Puis Timmy, l'année de mes quinze ans. Timmy, que j'ai regardé mourir du SIDA sans pouvoir faire quoi que ce soit. A part faire semblant de ne PAS voir qu'il se déglinguait de l'intérieur. Le faire rire en lui racontant les pires horreurs sur le lycée, les voisins, etc.
Voilà.
Avec ça, j'aurais pu devenir croque-mort ou junkie. Mais non. Probablement grâce à ma cousine Olivia, 32 ans en mars prochain, toutes ses dents, lesbienne militante (d'où la brouille avec sa môman) et galeriste. A l'époque, elle était juste rebelle, et ne me prenait pas plus que ça pour une timbrée. l'autre raison pour laquelle je suis toujours de ce monde, c'est le voyage à la Nouvelle-Orléans. c'est là que j'ai commencé à m'intéresser aux masques. Aux costumes. A ce que cela pouvait représenter. De ce carnaval est né mon intérêt pour les fringues. La mode. Autre carnaval, autre manière de disparaître derrière un costume.
Changement de look l'année de mes 17 ans. Test pour vérifier mes théories : derrière tes fringues, tu peux être ce que tu veux, personne ne le verra. résulta probant, j'ai enchaîné 2 petits amis, un bal de prom et une nuit presque oubliée avec mon cavalier (Matt, je crois ? Ou Brett ?)
Côté famille, tout le monde était rassuré par mon apparente normalité. Maman a arrêté de stresser. Ma soeur Mary-Adele a consenti à m'héberger le temps que je trouve une chambre à NY. Mon père a fait l'effort de dîner deux fois avec moi.
Ca n'a pas duré longtemps. Les études que j'ai choisies, master de littérature anglaise et histoire de la mode, ça ne leur parlait pas. Mon look, mes jobs, encore moins. Je crois que mon humour ne passe pas non plus beaucoup. Ca tombe bien, parce qu'avec moi, ce sont eux qui ne passent pas. L'hypocrisie, c'est drôle cinq minutes, ou quand c'est vraiment important (genre être invitée à une soirée très privée pour rencontrer Masha Orlov). Avec des soi-disant proches qui sont surtout très lointains, c'est une perte de temps.
Il y a quatre ans, Nina est arrivée dans ma vie. Nina, c'est ma chatte tigrée, mon grand amour de félin, ma ronronthérapie, mon rayon de lune quand je n'arrive pas à fermer l’œil après minuit. On s'est rencontrée dans la rue, elle et moi : une association de quartier organisait des adoptions, j'ai croisé ses yeux d'or, et voilà.
Ca m'aurait vraiment embêtée de mourir pour de vrai. Olivia l'aurait certainement prise, c'est pas le genre à abandonner les animaux, mais quand même. Et me voilà, 26 ans, toutes mes dents, toujours aussi spooky, mais maintenant je sais pourquoi...
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